Ré-autorisation des néonicotinoïdes

Les sénatrices et sénateurs des trois groupes de gauche et plusieurs sénateurs du groupe RDSE saisissent le Conseil constitutionnel pour contester une loi qui bafoue la Charte de l’Environnement

Le 4 novembre dernier, le Parlement adoptait définitivement le projet de loi ré-autorisant les néonicotinoïdes, insecticides interdits en 2016 du fait de leurs impacts majeurs sur la biodiversité et des risques pour la santé. Après s’être opposé avec force en séance à ce grave recul environnemental, les sénateurs des trois groupes et plusieurs sénateurs du groupe RDSE, ont décidé de continuer le combat en déposant aujourd’hui une saisine auprès du Conseil Constitutionnel.

Par ce recours, ils font valoir l’incompatibilité du projet de loi avec la Charte de l’environnement, texte à valeur constitutionnelle, qui indique que «toutepersonnealedevoirdeprendrepartàlapréservationetà l’amélioration de l’environnement » et doit « prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnementou,àdéfaut,enlimiterlesconséquences».Ils s’appuient également sur le principe de non- régression du droit de l’environnement, inscrit dans le code de l’environnement en 2016.

Ils considèrent notamment que la ré-autorisation des néonicotinoïdes est clairement antinomique avec ces principes, alors que l’on compte plus de 1 200 études scientifiques attestant de leurs effets graves et persistants sur l’ensemble de la biodiversité.

Ils souhaitent que le Conseil Constitutionnel censure ce texte, dans la lignée de sa décision du 31 janvier 2020 qui établissait que « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle » qui pouvait justifier des « atteintes à la liberté d’entreprendre ».

Pour les sénatrices et sénateurs signataires ce recours pointe les incohérences d’une loi qui autorise à nouveau des molécules dangereuses et interdites depuis 2018. Cette décision a été prise sans avoir envisagé sérieusement les solutions alternatives qui pourraient venir en aide à la filière de la betterave en crise et amorcer sa transition. Plusieurs propositions sont pourtant sur la table, comme des mécanismes de mutualisation des risques ou d’aides financières.

Une démarche similaire est portée à l’Assemblée, par l’ensemble des députés des groupes de gauche progressistes et écologistes. Le Conseil Constitutionnel a désormais un délai maximal d’un mois pour rendre sa décision, soit avant le 10 décembre 2020.

CP-Neonicotinoides-10-novembre-

Intervention du Groupe sur la motion de rejet préalable du projet de loi néonicotinoïdes – 27 octobre 2020

Si le groupe écologiste, pourtant viscéralement attaché au débat démocratique, a déposé une question préalable pour rejeter unilatéralement ce texte, c’est que l’heure est grave.

Depuis l’autorisation des néonicotinoïdes en France dans les années 1990 et jusqu’à leur interdiction il y a quelques années, notre pays a perdu 85 % des insectes de ses campagnes. 85 % en moins d’un quart de siècle. Les néonicotinoïdes ont également largement contribué à l’effondrement des populations d’invertébrés et notamment de ver de terre. Ces producteurs et ces fertilisateurs de nos sols qui sont aussi la ressource alimentaire de nombreux mammifères (musaraignes, hérissons, chauve-souris, etc) et oiseaux. Imaginer leur disparition prochaine devrait toutes et tous nous plonger dans un abîme de perplexité. « La biodiversité nous concerne au premier chef, car la biodiversité c’est nous, nous et tout ce qui vit sur terre » disait Hubert Reeves.

Le vivant s’effondre sous les coups de boutoir de l’activité humaine, nous provoquons la 6e extinction de masse de l’histoire de la vie sur terre et nous continuons. Mais aujourd’hui nous n’avons plus d’excuse.

Parmi les poisons que l’humanité déverse quotidiennement dans les cours d’eau, propage dans l’air ou infiltre dans les sols, les néonicotinoïdes sont l’un des plus vicieux, l’un des plus pernicieux, l’un des plus dangereux.

Le plus dangereux car il multiplie par 6 la mortalité des colonies d’abeilles et décime les populations de pollinisateurs. 1222 études ont montré le danger que représente les néonicotinoïdes.

En réalité, je ne vous apprends rien. Vous connaissez les méfaits de ces produits sur la biodiversité, vous connaissez leurs impacts sur les sols, sur l’eau, sur la vie. Vous connaissez les risques pour la santé humaine.

Le débat a été tranché en 2016 et Barbara Pompili alors secrétaire d’état à la Biodiversité le disait parfaitement : « Les néonicotinoïdes sont dangereux pour notre santé, pour notre environnement, pour les cours d’eau. Nous avons une responsabilité vis-à-vis de nos enfants, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! »

Pourrait-on imaginer un Gouvernement qui créerait des dérogations à l’interdiction du plomb ou de l’amiante pour les besoins de quelque industriel ?

Monsieur le Ministre, quelle responsabilité ! Vous savez et pourtant vous allez permettre l’utilisation d’un poison.

Il a fallu 20 ans de combats acharnés des apiculteurs, des écologistes, des associations, des citoyennes et des citoyens pour enfin parvenir à se débarrasser de ces pesticides. Il a fallu 7 lectures parlementaires pour y parvenir, car naturellement, on invoque l’urgence pour tout et n’importe quoi mais certainement pas pour la protection de la biodiversité.

Dans l’urgence la plus totale, pour faire face à une année de mauvaise récolte de betterave, pour faire face à un phénomène dont on ne sait même pas s’il se reproduira, vous voulez rouvrir la boite de Pandore. Vous voulez introduire une dérogation scélérate dans la loi, dérogation qui ne manquera pas de faire jurisprudence et de menacer l’interdiction dans son ensemble. Car au nom du principe d’égalité devant la loi, le juge constitutionnel pourra élargir le champ des dérogations et transformer cette brèche en faille béante.

Vous créez ainsi un précédent délétère que ne manquera pas d’utiliser comme exemple chaque lobby, qui considérera demain que la législation écologique est un frein, ne serait-ce que léger, à ses rendements. Plus grave encore, alors que la France avait montré l’exemple en étant le premier pays à interdire les néonicotinoïdes en 2016, son renoncement annoncé est une immense victoire pour le lobby agro-chimique lui permettant de combattre l’interdiction partout dans le monde.

Ce projet de loi est un cheval de Troie de Bayer-Monsanto et votre Gouvernement le sait pertinemment. En baissant le pavillon, vous menacez les pollinisateurs du monde entier. Pour le seul intérêt court-termiste de la filière française de sucre, vous portez un coup violent à toute la biodiversité mondiale.

Quand les pesticides auront éradiqué tous les pollinisateurs et tous les vers de terre, quand nos sols seront aussi morts que des déserts de sables, quand plus rien ne poussera sans engrais chimique, alors la survie de l’humanité dépendra du pompier pyromane Bayer-Monsanto qui aura atteint là son objectif. Face à cette dystopie que l’on touche du doigt, face à cet effroyable péril, on n’attend plus ni volonté, ni vision des ministres de l’Agriculture du quinquennat Macron.

On regrettera en revanche l’absence de la ministre de la Transition écologique dont l’action, je l’ai rappelé, avait été décisive en 2016. On la comprend, à ce niveau-là ce n’est plus un renoncement, c’est un reniement !

Qu’il est loin le temps où le candidat Macron promettait l’éradication progressive des pesticides. Trois ans après, le président Macron, incapable de tenir sa promesse sur le glyphosate portera à jamais le stigmate du retour des pesticides tueurs d’abeilles. Sacré décalage avec la réalité, avec l’attente de nos concitoyens, avec le courage de valeureux paysans comme Paul Francois qui gagnait hier définitivement son procès contre Monsanto. Même votre majorité parlementaire assume de plus en plus mal ce décalage, ils sont plus du tiers des députés En Marche à ne pas avoir voté votre loi.

Je pourrais poursuivre longtemps ce réquisitoire, mais je ne voudrais pas donner le sentiment d’égrainer les arguments d’autorité depuis un Aventin d’écologiste outragé, qui mépriserait les réalités et notamment les difficultés que rencontrent les agriculteurs enfermés dans un modèle agro-industriel à l’agonie.

Si nous refusons aujourd’hui ce débat c’est que le véhicule législatif que vous nous proposez est inadapté et inepte.

Nous refusons ce débat car, nous venons d’en discuter, ce texte de loi est manifestement frappé d’inconstitutionnalité. Son étude d’impact est lacunaire pour ne pas dire biaisée. Il est en rupture profonde avec le principe de prévention inscrit à l’article 3 de la Charte de l’environnement et avec l’objectif à valeur constitutionnel de protection de l’environnement.

Nous refusons ce débat, car ce texte de loi est vraisemblablement incompatible avec le cadre européen comme l’a souligné, le 1er octobre dernier, la Commission, qui vérifiera la conformité de cette dérogation avec le droit communautaire. Loin de la déplorable proposition de politique agricole commune, l’Europe devrait pourtant être l’échelon adéquat pour protéger nos agriculteurs de la volatilité des cours mondiaux et engager la transition agroécologique. Au lieu de vous battre pour déroger à ses règles, vous auriez mieux fait de vous battre pour une PAC ambitieuse.

Nous refusons ce débat, car nous l’avons déjà à eu de nombreuses reprises dans cet hémicycle et nous l’avons déjà tranché. La cohérence de notre Parlement est ici en jeu. Nous avons interdit les néonicotinoïdes, car c’est un poison dangereux pour la vie. Aucune étude scientifique ne vient étayer l’inverse ! Le sérieux s’impose dans cette affaire. « Il ne faut toucher à la loi que d’une main tremblante » disait Montesquieu, pas dans la précipitation qui guide ce débat.

Nous refusons ce débat car ce projet de loi va à l’encontre du principe de non-régression du droit de l’environnement consacré par l’article L.110-1 du Code de l’Environnement. La loi que nous votons n’est pas destinée à garnir les étagères poussiéreuses des bibliothèques juridiques et, là encore, nous serions avisés de respecter notre propre ouvrage.

Nous refusons ce débat car nous n’avons aucun recul sur la situation de la filière betterave à la suite de cet épisode de jaunisse. Les études de l’ANSES sont en cours d’élaboration, la fameuse « impasse technique » n’est nullement constatée. Il conviendrait, a minima, d’attendre les résultats de l’agence.

Nous refusons ce débat, car pour soutenir les agriculteurs, il aurait fallu un dispositif d’urgence pour la filière assortie de contreparties sociales et environnementales. Avant de déroger à la loi, le cadre budgétaire était un véhicule législatif nettement plus approprié. L’occasion d’ailleurs de réfléchir à un fond conséquent et pérenne pour les calamités agricoles.

Nous refusons ce débat, car c’est une fausse réponse aux problèmes structurels de la filière betterave qui souffre avant tout de la disparition des quotas et de la pression du libre-échange. Ainsi, malgré la jaunisse, les rendements de cette année ne seraient pas inférieurs à ce qu’ils pouvaient être au début des année 2000. Le problème c’est qu’entre-temps la surproduction a fait s’effondrer les cours. Quand on comprendra que la surproduction agricole ne sert que la spéculation et surtout pas les agriculteurs, on pourra commencer à tenir un discours honnête et censé.

Nous refusons ce débat, car il est inepte de faire valoir les difficultés de la filière sucre alors que l’exécutif n’a toujours pas fermé définitivement la porte au Mercosur. Sans opposition ferme et définitive de la France à ce projet d’accord, tout débat sur l’avenir de la filière est totalement vain.

Nous refusons ce débat, car enfermer la filière sucre dans ce schéma délétère à l’agonie ne rend service ni aux producteurs, ni aux industriels, ni aux ouvriers. La France est tellement en retard qu’elle est incapable de répondre à la demande nationale de sucre issue de l’agriculture biologique. Faute de pouvoir s’approvisionner en France, Les détaillants bio sont obligés de se fournir en sucre bio au … Brésil. Un comble ! Surtout qu’il semblerait que la betterave cultivée en bio résisterait nettement mieux à la jaunisse. Encore un bienfait de la biodiversité.

Monsieur le Ministre où est le plan pour une filière française bio du sucre ? Où est votre plan pour le développement de la betterave bio ? Vous avez supprimé les aides au maintien à l’agriculture biologique, cumulé les retards de paiement des aides bio et privilégié le système conventionnel. Où est votre plan pour sortir de ce modèle agricole qui détruit et asservit les femmes et les hommes?

N’avez-vous aucune autre perspective à offrir à nos paysans que ce piteux reniement ?

Nous refusons ce débat qui méprise les apiculteurs, les arboriculteurs et tous les paysans qui dépendent de la pollinisation.

Nous refusons ce débat qui ne répond qu’aux intérêts à court terme de la filière sucre au détriment de tous les autres et en particulier de l’intérêt des paysans.

Nous refusons ce débat qui est une fuite en avant criminelle.

Nous refusons ce débat et, chers collègues, nous vous invitons de tout cœur à le refuser avec nous !

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