Madame, Monsieur,
Au surlendemain de votre action « crèche morte », je tiens à vous remercier de m’avoir sollicité pour me faire part de vos colères et inquiétudes, qui sont tout à fait légitimes. Je voudrais prendre le temps de vous répondre, point par point.
De nombreuses communes sont actuellement interpellées par les crèches et micro-crèches de leur territoire, en leur qualité d’Autorité organisatrice du Service Public de la Petite Enfance. Vous leur avez soumis vos pistes de solutions pour remédier à la crise en cours dans le secteur de la petite enfance.
Il est vrai que ce secteur est cruellement sous-financé et que les ressources humaines manquent. Les professionnelles du secteur (je me permets de genrer au féminin car elles représentent la majorité des salariées) effectuent un travail herculéen dans des conditions dégradées et il est regrettable que des places doivent fermer dans des crèches alors que de nombreux parents peinent à faire garder leurs enfants.
Les dérives systémiques constatées sur les grands groupes de crèches privées n’entachent en rien le dévouement et le professionnalisme du personnel dans les établissements au niveau local. Le personnel de crèche assure un service public essentiel. Aussi, nous saluons votre travail et votre engagement au service des enfants et des parents.
Concernant le positionnement du groupe écologiste au Sénat, nous sommes favorables à améliorer l’encadrement des enfants, à travers des ratios d’adulte par enfant plus favorables. Cela supposerait de recruter encore davantage de personnel. Nous sommes, par ailleurs, favorables à l’idée d’aligner les taux d’encadrement et les exigences de personnel qualifié dans les micro-crèches sur celui des crèches.
En toute transparence, nous sommes défavorables à votre revendication d’étendre le bonus attractivité, jusque-là réservé aux crèches PSU, également aux micro-crèches PAJE. En effet, les grands groupes de crèches privées ont une rentabilité qui leur permettrait de revaloriser les professionnelles sans aide publique supplémentaire. De plus, les micro-crèches n’ont pas encore le même taux d’encadrement et de personnel formé que les crèches collectives, et doivent donc en priorité être soutenues en ce sens.
Nous partageons votre inquiétude sur le manque de formation des professionnelles du secteur. Il est indispensable d’améliorer l’attractivité de ces métiers et d’encourager les entrées en formation dans ces métiers essentiels, notamment en vue des nouvelles exigences pour les micro-crèches à compter du 1er janvier 2026 et de la vague de départs en retraite à venir. Selon les propos de la Ministre Catherine Vautrin en commission ce jour, ces exigences de qualification ne concerneraient que les nouvelles embauches. Vos craintes concernant le licenciement de votre personnel peuvent donc être rassurées.
Si la meilleure formation des personnels qualifiés pour les micro-crèches est une bonne nouvelle, il semble que les autorités n’ont pas anticipé la formation correctement. Il est donc urgent de rectifier le tir !
Ce système est à bout de souffle et contribue à la mise en danger d’enfants, y compris de manière non intentionnelle. En avril 2023, l’IGAS publiait notamment un rapport sur la qualité de l’accueil et la prévention de la maltraitance qui pointait le phénomène de maltraitance institutionnelle (plutôt que des abus de “brebis galeuses”) dues au caractère chroniquement sous-staffé du secteur. Comment exercer son métier correctement dans de telles conditions ?
Sur les rallonges demandées sur la PAJE et la PSU, il faudrait effectivement, à notre sens, mettre davantage d’argent public sur la table pour assurer un bon accueil à tous les enfants. Nous sommes convaincu-es qu’il faudrait toutefois privilégier une refonte globale du système de financement, dysfonctionnel dans son ensemble.
Pour le groupe écologiste au Sénat, le système de financement actuel permet aux acteurs privés de s’engraisser et tire la qualité de l’accueil du public vers le bas. Il est inégalitaire, illisible pour les parents et favorise l’ouverture de berceaux dans le privé plutôt que le public. Aujourd’hui, 24 % des places disponibles en crèche sont dans des structures privées à but lucratif, contre 7 % en 2012 !
Après toutes les aides publiques, les micro-crèches PAJE sont le mode de garde au reste à charge le plus élevé pour les parents par rapport aux crèches PSU (crèches collectives) et aux assistantes maternelles. Seule la garde à domicile est encore plus onéreuse. Ainsi, si les crèches et micro-crèches privées coûtent moins cher aux collectivités locales à ouvrir, elles représentent in fine davantage de reste à charge pour les parents.
En évoquant les micro-crèches PAJE, un rapport de l’Assemblée nationale pointe « un financement public vraisemblablement supérieur au coût de revient de la structure », et un niveau de rentabilité très élevé : « un résultat d’exploitation de l’ordre de 40 % du chiffre d’affaires, contre 7,8 % dans l’ensemble des entreprises ». Dit autrement, la dépense publique n’est pas fléchée vers les familles qui en ont le plus besoin, mais alimente des rentes privées. Le personnel, les enfants et leurs parents sont les grands perdants de ce système.
Nous, élu.e.s écologistes, prônons une remise à plat globale du système de financement des établissements d’accueil des jeunes enfants. Nous revendiquons en particulier de sortir du financement par heure, qui pousse au remplissage systématique des berceaux, au détriment de la qualité de l’accueil. Nous souhaitons enfin que le service public de la petite enfance devienne la “première marche” de l’Education nationale.
Les communications – récemment rendues publiques impliquant la ministre Aurore Bergé, qui aurait conclu un “pacte de non-agression” en secret avec la présidente de la Fédération française des entreprises de crèche (FFEC), contribuent évidemment à la colère et à l’incompréhension générale des parents et du personnel de crèches. Nous comprenons parfaitement cette indignation.
Au nom du groupe écologiste, la sénatrice Raymonde Poncet-Monge, vice-présidente de la Commission des affaires sociales, a lancé l’idée d’une refonte globale du financement des établissements d’accueil du jeune enfant avec plusieurs élu-es municipaux en charge de la petite enfance, pour en finir avec le low-cost, encadrer les acteurs privés et prendre soin des enfants.
Nous continuerons à défendre ce projet et souhaitons qu’une mission d’information à ce sujet soit menée au Palais du Luxembourg. Une Proposition de Loi pourrait également être déposée. Ma collègue Raymonde-Poncet Monge, cheffe de file sur ces questions pour le groupe écologiste, en a fait une promesse de mandat.
Respectueusement, Jacques Fernique, sénateur du Bas-Rhin