Du libre-échange au juste échange : repenser la politique industrielle et commerciale européenne

La semaine passée, je suis intervenu dans l’hémicycle pour parler d’un sujet d’actualité brûlant: la réponse européenne à apporter face aux mesures protectionnistes des États-Unis. Voici la vidéo de mon intervention ainsi qu’un article détaillant ma position.

L’an passé, Washington a en effet adopté  son “Inflation Reduction Act” (IRA), plan d’investissement de 430 milliards de dollars prévoyant de distribuer des subventions aux industries vertes telles que les fabricants de batteries pour voitures électriques et de panneaux solaires. 

Face à cette subvention massive de l’industrie américaine, Paris et Berlin ont donc concrétisé, fin 2022, leur contre-offensive commune et transmis leur contribution à la Commission européenne. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a ensuite dévoilé, au Forum économique de Davos, ses mesures de rééquilibrage pour une réponse européenne à l’Inflation Reduction Act américain. Dès le 1er février dernier, elle lançait un Plan industriel vert européen pour répondre aux effets les plus pervers de l’IRA.

Cette évolution de la politique industrielle européenne fait écho à ce que nous, écologistes, défendons depuis longtemps :  un “protectionnisme vert européen”. Cela consiste, dans un premier temps, à mettre en cohérence les règles de notre marché intérieur et nos importations. Sur le plus long terme, le plan est de réindustrialiser l’Europe pour lui permettre d’être autonome, avec la sortie du système productiviste mondialisé comme boussole. Passer du libre-échange au juste échange, sortir de la logique du “tout-marché”. 

Le mot protectionnisme fait peur, mais il ne s’agit pas d’une guerre commerciale ni d’être repliés sur nous-mêmes. Plutôt de regarder le monde comme il est : les multinationales se réjouissent du peu de régulations qui existent à travers le monde aujourd’hui. Elles exploitent, partout où elles le peuvent, les failles des normes environnementales et sociales (quand elles existent), pour produire au moindre coût. Mettre en place un protectionnisme vert, c’est juste assumer notre place de premier marché au monde. Assumer que pour pénétrer ce marché, il faut respecter un certain nombre de critères basés sur nos valeurs. On ne peut plus polluer impunément des biens vendus à un prix qui ne reflètent pas les externalités négatives causées. 

En réponse à l’IRA américain, la Commission a mis en avant des objectifs de réindustrialisation par le biais d’allègements de charges, notamment pour le déploiement de nouvelles technologies. Elle souhaite aussi autoriser davantage d’aides d’État et de crédits d’impôt pour les technologies vertes. Mais dans cette proposition, un élément central manque encore. Il s’agit du “Buy European act” proposé par mes collègues eurodéputés dans leur résolution en janvier dernier. Ce “Buy European Act” permettrait de favoriser les produits “made in Europe” à travers l’accès aux marchés publics, qui représentent 14% du PIB européen. C’est de l’argent qui existe déjà et un levier de transformation intéressant pour promouvoir une économie en cohérence avec nos valeurs européennes et nos objectifs : circuits courts, relocalisations d’industries en Europe, un système de production plus résilient et à la hauteur de nos critères environnementaux  et sociaux. 

Utiliser les marchés publics comme outil de politique industrielle écologique est aussi une question de symbole. C’est offrir une « protection » aux Européens effrayés par la mondialisation, le chômage et ce qu’implique de transformations la transition écologique. Mais c’est surtout un outil qui peut contribuer à obtenir des résultats politiques majeurs en réponse aux défis sociétaux et économiques actuels : créer des emplois durables et transformer nos économies pour répondre au dérèglement climatique. Il serait aussi compatible avec les règles de l’OMC. 

Pourtant, pour le moment, un Buy European Act n’apparaît ni dans les conclusions du Conseil, ni dans la réponse de la Commission. C’est l’heure de pousser pour une réouverture de la directive des marchés publics européens. Macron l’avait porté dans son programme en 2017, cet engagement a été abandonné en faveur d’un libéralisme de la compétition de tous contre tous. Seule l’Europe ouvre ainsi ses marchés publics. Les autres savent les protéger. 

Nous avons été courageux pour instaurer une taxe carbone à la frontière, continuons sur cette lancée. Sous l’influence des écologistes, nous avons par exemple réussi à interdire l’entrée de produits issus de la déforestation sur notre marché. Notre impact est mondial, palpable, mais trop lent. Comme l’ont fait  les USA, décidons d’abord et discutons après : pour les panneaux photovoltaïques, par exemple, nous avons été beaucoup trop peureux. Nous avons mis tellement de temps à négocier pour tenter de contrer la menace chinoise que nous avons loupé le train. C’est une bataille politique, et pas technique.  Cela ne veut pas dire que nous devons renoncer à nos préférences commerciales pour les pays les moins avancés, mais il faut faire les choses en cohérence avec tout ce qu’on porte. Le droit du travail, la santé publique, le climat. C’est indissociable. 

Nous avons besoin d’une réindustrialisation de l’Europe, tout en décarbonant les industries qui existent déjà sur nos territoires. Soyons pragmatiques, réalistes : la délocalisation a créé des territoires fragiles, détruit des emplois, abandonné des populations. Un projet écologique et social crédible, c’est donner la possibilité à nos citoyens de consommer des produits qui viennent de pays qui respectent les normes en vigueur chez nous. C’est pourquoi la France devrait également pousser au Conseil pour enfin mettre en place les mesures miroir pour les biens agricoles, qu’elle s’était engagée à obtenir pendant sa présidence. Pour le moment, elles n’apparaissent pas dans l’accord Mercosur, qui n’est que mondialisation de la malbouffe et de la souffrance animale et signe la disparition de nos paysans. 

Ce dernier point me paraît crucial : pendant trop longtemps, la France a pris l’habitude de faire des propositions, de les afficher publiquement, puis de ne pas pousser lors des négociations. Pour le “Buy European Act”, c’est le même mode opératoire. On propose, puis on baisse les bras au moindre froncement de sourcils. Il faut prendre le bâton de pellerin et pousser. Créer des alliances. Trouver une majorité au Conseil avec l’Italie, la Belgique, le Luxembourg, par exemple. Les négociations ne seront pas faciles, certes, même avec l’Allemagne. Les pays nordiques n’ont pas la même conception du libéralisme que nous et la présidence suédoise ne facilitera pas le débat. Mais en quelques années, nous avons obtenu des avancées qu’on pensait impossibles. Taxe sur les superprofits énergétiques, interdiction des importations issues du travail forcé, impôts sur les sociétés, devoir de vigilance, taxe carbone aux frontières. Toutes ces victoires qui mettent en cohérence nos valeurs et notre politique commerciale sont dans le programme des écologistes. Notre proposition de résolution sur le boycott des produits issus du travail forcé des Ouïghours va dans ce sens.

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