Le 24 mai dernier, j’ai interpellé le gouvernement sur le démantèlement de Fret SNCF qui est en train d’être réalisé à bas bruit.
En effet, depuis plusieurs semaines, le couperet est tombé: la Commission européenne menace Fret SNCF d’une amende de 5,3 milliards d’euros. L’Etat français a versé plusieurs milliards afin de maintenir le fret à flot, et ces aides d’Etat sont considérées illégales par l’UE. À titre de comparaison, en 2018, la Commission européenne avait prononcé une amende record de 4,3 milliards d’euros à l’encontre de Google, dans une affaire d’abus de position dominante. L’Etat français est donc menacé d’une amende encore plus élevée que la multinationale.
Dans une interview accordée à l’Opinion le 13 juin dernier, Margrethe Vestager (commissaire européenne à la concurrence) explique cette décision par le respect de la concurrence libre et non faussée, qui primerait donc sur la transition écologique, qui doit commencer par les transports. Plutôt que d’accepter le soutien étatique à un secteur essentiel de la transition écologique, la Commission a donc appliqué ses logiques néolibérales, pour ne surtout pas distordre la concurrence.
Pour échapper à cette sanction, le gouvernement français s’est couché devant Bruxelles, en acceptant un piètre compromis. Ce compromis n’en est pas un, il est une victoire de la logique néolibérale. Clément Beaune a « négocié » avec la Commission et il a « obtenu »: la liquidation de Fret SNCF en deux filiales, la cession de 30% des contrats de Fret SNCF à la concurrence et la suppression de 450 emplois.
Emmanuel Macron s’était engagé en faveur du fret durant sa campagne présidentielle: « réaménager dans notre pays notre fret ferroviaire, (…) qu’il faut développer si on veut être compétitif, gagner des volumes et être cohérent avec notre stratégie écologique ». Toutefois, le démantèlement qui se profile et l’ouverture à la concurrence serait tout sauf une bonne nouvelle pour la réduction des émissions de gaz à effets de serre. En effet, pour les eurodéputées Karima Delli, Leïla Chalbi, et Nora Mebarek « le gouvernement n’a pas suffisamment pris en compte le fait que les concurrents de Fret SNCF ne seront, très probablement, pas en capacité de reprendre tous les flux abandonnés ». Le report modal vers la route est donc inévitable.
La France a du retard sur le développement du fret (10% du transport de marchandises terrestres contre 18% de moyenne dans l’Union). Ce n’est pas avec une telle instabilité que notre pays comblera son retard. En effet, rappelons que depuis la libéralisation du fret en 2005-2006, la part de celui-ci n’a cessé de décroître dans le transport intérieur de marchandises. La libre concurrence ne serait donc, a priori, pas la solution miracle pour mettre en œuvre la transition écologique…
Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre chargé des transports avait lui-même déclaré: « L’ouverture du secteur à la concurrence (…) s’est traduite en France par une déstabilisation de l’opérateur historique Fret SNCF (…) au détriment du développement global de la part modale du fret ferroviaire ». Comme le dit l’eurodéputée Karima Delli, présidente de la commission transports et tourisme au Parlement Européen, « ce serait un scénario catastrophique. Si on démantèle le Fret (…) cela veut dire qu’il y aura plus de camions sur nos routes et donc indirectement plus de CO2 ».
À quoi veut-on donner la priorité? Au climat ou à la concurrence?