Des dizaines de milliers de véhicules thermiques sont détruits chaque année, leur propriétaire s’en séparant pour profiter de la prime à la conversion. Un texte de loi écologiste propose de récupérer les moins polluants pour les louer à prix modique à des personnes précaires en milieu rural. Il a été voté au Sénat cette semaine.
Sauver de la casse les voitures les moins polluantes issues de la prime à la conversion pour les louer à bas coût aux personnes les plus précaires dans les zones rurales : l’idée – dans les tuyaux depuis plusieurs années – pourrait enfin aboutir. Un texte de loi écologiste en ce sens a été voté mercredi au Sénat. « Chaque année, des dizaines de milliers de véhicules sont mis à la casse dans le cadre de la prime à la conversion, quand des millions de concitoyens n’ont pas de moyen de déplacement dans les territoires ruraux », a exposé Jacques Fernique, sénateur écologiste du Bas-Rhin, lors de la présentation du texte.
Grâce à la prime à la conversion, les automobilistes peuvent, sous conditions de revenus, bénéficier d’une aide pour acquérir un véhicule peu polluant en échange de la mise au rebut d’un ancien véhicule. Problème : ces derniers sont automatiquement conduits à la casse « alors même que certains sont toujours en état de fonctionner et présentent des niveaux de pollution inférieurs à la moyenne du parc automobile national », explique le sénateur.
Des millions des Français dépendant de la voiture
Afin de « réconcilier ces deux phénomènes paradoxaux », le groupe écologiste au Sénat propose donc que les véhicules classés Crit’Air 3 et moins (excepté les diesels) « puissent être remis à titre gracieux aux autorités organisatrices de la mobilité » (collectivités, syndicats mixtes…). Ces dernières seraient chargées de mettre en place des services de location destinés aux personnes précaires des zones rurales.
L’enjeu de la mobilité est énorme dans ces territoires, souvent mal desservis, où la voiture est l’unique solution pour se déplacer. Ainsi, 4,3 millions de Français ne disposent d’aucun mode de transport, selon le baromètre 2022 de la Fondation pour la nature et l’homme et Wimoov. Et un Français sur quatre a déjà refusé une proposition de travail faute de pouvoir s’y rendre, indique une étude Elabe de 2017. Les personnes touchées par cette « précarité mobilité » sont « en premier lieu les ménages les plus modestes […], bien souvent des femmes, qui ont besoin de solutions rapides », alerte le sénateur Fernique.
La proposition de loi s’inspire d’initiatives locales, en particulier des garages solidaires. Ces derniers vendent et louent à bas prix des voitures en fin de vie récupérées gratuitement. Les véhicules proviennent « à 95 % de particuliers, mais aussi de collectivités et entreprises qui renouvellent leurs flottes », indique Jean Giraudeau, responsable de la fédération associative Solidarauto, qui compte neuf garages solidaires en France, notamment à Saint-Germain-Laprade (Haute-Loire), Besançon et Montbéliard (Doubs).
Cinq à sept euros par jour
« On s’adresse à des publics qui ont un quotient familial moyen de 400 euros. La plupart sont des travailleurs précaires », ajoute-t-il. Une fois remises en état, les voitures sont louées via des partenaires locaux (Pôle emploi, CAF, CCAS, Mission locale) « autour de cinq à six euros par jour ». Les véhicules sont utilisés « principalement pour aller au travail, souvent pour une mission d’intérim, ou accéder à une formation courte. Le but est d’aider à démarrer une situation professionnelle qu’on stabilisera par la suite par l’acquisition d’un véhicule », détaille Jean Giraudeau, qui fait face à une demande « absolument énorme, en particulier en milieu rural et périurbain ».
Lui aussi constate « un gaspillage pas possible de voitures ». « Sur 92 000 véhicules qui ont fait l’objet d’une prime à la conversion en 2022, les deux tiers étaient des véhicules Crit’Air 3, dont 20 % à 50 % auraient pu encore servir. Ce qui est énorme », regrette-t-il. « Poursuivre l’utilisation d’un objet jusqu’au bout, c’est du bon sens écologique. Et ces voitures, qui sont purement et simplement jetées à la poubelle, sont un levier formidable. On pourrait leur offrir une dernière vie pendant cinq ou sept ans. » Jean Giraudeau est donc tout à fait prêt à participer au dispositif voté par le Sénat.
Le texte a l’avantage d’allier social et écologie, deux notions souvent opposées, comme l’a illustré l’épisode des gilets jaunes. Le ministre des Transports, Clément Beaune, a d’ailleurs salué la « logique de transition et de progressivité » de la proposition écologiste et un « accompagnement social indispensable » à sa réussite. De l’écologie « populaire » et « pragmatique », comme le dit Jacques Fernique. Avant d’être définitivement adopté, le texte devra passer l’étape de l’Assemblée nationale.
Article de Pierre Charles paru le 16/12/2023 dans les DNA