Trail Center à Wangenbourg : aberration écologique, non-sens économique

Un village paisible niché dans un écrin de verdure, une clairière offrant une vue sur la Forêt-Noire voisine, une forêt à la faune et la flore typiquement vosgienne : la commune de Wangenbourg-Engenthal, au cœur de la « Petite Suisse d’Alsace », a tout d’un décor de carte postale. Mais la création prochaine d’un Trail Center va venir troubler cette quiétude. Ce projet repose sur trois infrastructures :

  • Un bike-park sur le plateau du Langacker (8 ha de prairie) avec un pump-track (parcours en enrobé avec bosses et obstacles), plusieurs pistes de descente, une zone d’initiation au vélo
  • Un bâtiment de 488 m2 d’emprise au sol (accueil, location/entretien/lavage de vélos, recharge de batteries)
  • 21,5 kilomètres de pistes VTT sur une superficie forestière de 80 hectares

Ce projet est porté par la Communauté de Communes de la Mossig et du Vignoble (CCMV) dont le président, Daniel Acker, est également maire de Wangenbourg. Depuis deux ans le Collectif Nature et Cadre de Vie, créé par des habitants du village, se bat contre le Trail Center. Je veux dire ici mon opposition ferme à ce projet.

Écologiquement aberrant

Écologiquement d’abord, ce projet est une aberration. Alors que l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) est proclamé, le Trail Center va grignoter des espaces naturels pourtant précieux. Les huit hectares de la prairie du Langacker hébergent des espèces protégées comme le muscardin, plusieurs sortes d’orchidées, et sert de halte pour les oiseaux migrateurs. Un agriculteur l’utilise pour faire du foin et en été, les familles viennent y pique-niquer. La préfecture, dans une décision rendue en 2020, dispense pourtant le projet d’évaluation environnementale. Quand on ne cherche pas, on ne trouve pas : circulez, il n’y a rien à voir.

Cette même décision prévoit le déboisement d’une superficie maximale de 3,44 hectares de forêt pour le tracé des pistes de VTT. La création de ces pistes va perturber l’écosystème forestier alors que le secteur ne manque pas de sentiers, et va amener un nombre considérable de nouveaux usagers (jusqu’à 1 000/jour, 30 000/an d’après les prévisions). Le maire m’a cependant assuré qu’aucun arbre ne serait abattu, qu’il n’y aurait aucun déboisement, qu’en bref l’environnement serait préservé. Je vois pourtant mal comment on créerait de nouveaux chemins sans couper d’arbres… Il m’a également affirmé que la remontée mécanique initialement prévue sur la prairie avait été abandonnée et que des itinéraires VTT situés en zone Natura 2000 seraient débalisés. Malgré ces promesses, l’environnement sera le grand perdant de ce projet d’aménagement, ne serait-ce que par le trafic routier supplémentaire engendré et l’artificialisation d’une partie de la prairie.

Des millions d’euros d’argent public gaspillés

Économiquement aussi, le Trail Center est un non-sens. En 2018 le coût prévu avoisinait les 3 millions d’euros. Le covid, la guerre en Ukraine et l’inflation sont depuis passés par là, augmentant sans aucun doute le coût du Trail Center. En tout état de cause, des millions d’euros d’argent public (financés à 39% par la CCMV, 30% CEA, 16% Région, 8% État, 7% fonds européens) sont gaspillés pour un projet qui n’a rien d’une priorité et dont la viabilité économique même semble douteuse. D’après le business plan, la gestion du Trail Center serait confiée à un gestionnaire (délégation de service public) auquel serait versé près de 100 000 € de subventions chaque année, la collectivité supportant l’essentiel des coûts tandis que le gestionnaire engrangerait les bénéfices.

Marchandisation des loisirs

Enfin, entre 10 et 35€ la demi-journée, à qui s’adresse ce Trail Center ? A l’heure où les gens se serrent la ceinture, ce prix est prohibitif pour beaucoup. A travers ce projet se pose aussi la question de l’usage de notre temps libre et de nos loisirs. A titre personnel, je m’inquiète d’une forme de marchandisation des loisirs : une activité largement répandue et peu coûteuse telle que le vélo devient, par la magie du marché, un bien de consommation autour de laquelle se monte un business. Un business du temps de libre et de la nature.

Jusqu’où cela nous mènera ? Est-ce que demain, à l’instar de ce qui se pratique dans les parcs nationaux américains, on devra payer pour accéder aux sentiers de randonnés ? Je ne souhaite pas que nos forêts, nos montagnes et nos campagnes se transforment en gigantesques parcs d’attractions. 

Malgré les efforts déployés pour le rendre innovant (un Trail center avec un pump-track, en anglais svp ça fait branché) et le repeindre en vert, ce projet repose sur une conception datée de la « dynamisation » de nos territoires à grands coups d’infrastructures touristiques lourdes. L’idée est d’attirer une clientèle qui, par ses dépenses, favorisera la vie économique locale. Cette théorie du ruissellement relève d’une croyance plus que de faits objectifs. L’avenir de nos campagnes et de nos montagnes n’est pas d’être une base de loisirs pour urbains aisés venant s’amuser à la campagne le temps d’un week-end. La dernière boulangerie de Wangenbourg a fermé en novembre dernier : avant de vouloir développer de nouvelles activités, veillons dans un premier temps à maintenir celles déjà en place. 

Une opposition légitime

Certes le maire a été réélu lors des dernières élections municipales. Certes la CCMV a voté pour le projet de Trail Center. Mais la démocratie exige aussi transparence, débat, écoute des associations et participation citoyenne, à l’inverse de l’opacité qui règne autour de ce projet. Les co-financeurs doivent pouvoir débattre et décider en connaissance de cause, les habitants doivent être impliqués dans les projets qui les concernent. En l’occurrence, le Trail Center soulève une opposition citoyenne légitime. Le collectif a fait circuler une pétition ayant réuni 1119 signatures dont 217 à Wangenbourg.

A leurs côtés, je demande aujourd’hui l’abandon de ce projet écologiquement néfaste, économiquement ruineux, et démocratiquement contestable.

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