Tribune : ne sacrifions pas la mobilité des plus précaires

J’ai signé une tribune avec tous les acteurs de la mobilité solidaire afin d’alerter sur la possible disparition de la prime à la conversion, qui rendrait caduque la loi du 5 avril 2024, dont j’ai été rapporteur au Sénat. La disparition de la prime à la conversion priverait les plus précaires de solutions de mobilité et laisserait sans voix les acteurs engagés dans cette démarche depuis si longtemps. Garantissons à tous l’accès à une mobilité ! Voici ci-après la tribune publiée initialement sur le site de Libération

Dans le cadre des coupes budgétaires, la prime à la conversion des véhicules pourrait disparaître, ce qui remettrait également en cause un système de récupération des voitures par les associations, s’alarment le sénateur écologiste du Bas-Rhin Jacques Fernique et un collectif du secteur.

En 2018, le mouvement des gilets jaunes a révélé bien plus qu’une simple colère contre la hausse des taxes sur le carburant : il a cristallisé un sentiment d’abandon vécu par des millions de Français des zones rurales et périurbaines, privés de solutions de transport abordables et confrontés à des obstacles quotidiens pour accéder à l’emploi, aux services publics et à la vie sociale.

Depuis plusieurs années, nous, acteurs engagés pour une mobilité plus solidaire, œuvrons pour apporter des solutions concrètes et durables. La question n’est pas simplement de calmer une colère, mais de redonner à chacun le droit de se déplacer librement et dignement.

En 2019, nous avons interpellé les pouvoirs publics et les parlementaires sur la nécessité de réfléchir à la question du réemploi des véhicules. Nous sommes conscients que la voiture individuelle n’est et ne peut être l’unique solution aux problèmes de mobilité. Elle n’en reste pas moins une solution encore indispensable pour beaucoup, notamment les personnes éloignées des grandes villes. Chaque année en France, plus d’un million de véhicules sont détruits avant d’avoir atteint la fin de leur cycle de vie alors que 15 millions de personnes sont en situation de précarité mobilité (1). Combien d’entre eux pourraient être remis en état pour aider ces concitoyens en grande difficulté ?

Notre démarche était claire : créer des dispositifs permettant de donner une seconde vie à des véhicules pour aider les personnes en situation de précarité, tout en respectant les impératifs écologiques actuels. Grâce à la mobilisation de sénateurs et de députés, un dialogue avec les pouvoirs publics a été instauré, posant ainsi les bases d’une démarche collective en faveur d’une mobilité plus solidaire, inclusive et durable.

Le fruit d’un travail collectif entre associations et élus

C’est ainsi qu’est née la loi du 5 avril 2024, fruit d’un travail collectif entre associations, entreprises, collectivités et élus. Cette loi permet que des véhicules issus de la prime à la conversion, avant leur destruction, soient confiés pendant un temps limité aux associations pour être loués ou mis à disposition à très bas coût aux plus précaires. Elle incarne une vision nouvelle de la justice sociale et environnementale, saluée par un vote unanime au Sénat et à l’Assemblée nationale. Elle traduit également comment, dans le cadre des enjeux budgétaires actuels, nous pouvons collectivement réussir à faire mieux à moindre coût.

Cependant, à l’heure où nous écrivons ces lignes, la mise en œuvre de cette loi est menacée. Elle est suspendue à un décret d’application qui se fait attendre et se heurte à une possible suppression de la prime à la conversion, dont elle dépend.

Dans un contexte de contraintes budgétaires, la disparition de cette prime, essentielle à la mise en œuvre de la loi du 5 avril, rendrait caduque tout le travail mené ces dernières années. Cela priverait les plus précaires de solutions de mobilité et laisserait sans voix les acteurs engagés dans cette démarche depuis si longtemps.

De surcroît, le dispositif de la prime à la conversion pourrait être remplacé par une politique de «leasing social». Si cette solution a permis en 2024 à quelques ménages modestes d’accéder à une voiture électrique, elle a aussi laissé de côté tous ceux qui n’ont pas les moyens de souscrire à un contrat de location, même à faible coût.

De la nécessité d’un débat de fond

Comme une voiture coincée dans un rond-point, nous assistons, impuissants, au même scénario qui se répète. En 2019, la loi d’orientation des mobilités portait elle aussi de grandes promesses pour la mobilité solidaire. Pourtant, elle n’a jamais bénéficié des moyens nécessaires, faute de décrets. Aujourd’hui encore, les actions de mobilité solidaire, financées principalement par le «pacte des solidarités», sont menacées par la baisse des ressources des collectivités locales. A se demander si le déploiement de solutions pour les plus vulnérables, et leur financement, figure réellement parmi les priorités.

Nous, acteurs de la mobilité solidaire, lançons aujourd’hui un appel urgent. Un débat de fond s’impose sur la prime à la conversion et sur le sort réservé aux véhicules en fin de vie. Dans une logique de sobriété, il est inconcevable de détruire des biens qui pourraient encore être utiles, sans envisager leur réemploi. Si le leasing social venait à remplacer ce dispositif, il est crucial qu’il s’adresse en priorité aux publics précaires. Plus largement, il devient impératif de doter notre société des moyens nécessaires pour accompagner les citoyens dans leur capacité et leur liberté de déplacement.

A ce jour, aucune loi, aucun dispositif, ne garantit une mobilité accessible à tous.

Signataires : les associations, coopératives et autres acteurs de la mobilité solidaire: Mob’In, Wimoov, Roole, Solidarauto, Agil’ess, Laboratoire de la mobilité inclusive, COOPGO, Mobicoop et Jacques Fernique, sénateur et rapporteur de la loi visant à favoriser le réemploi des véhicules, au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires.

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