Débat préalable au Conseil européen : les écologistes attendent des actes forts !

Levée de la propriété intellectuelle sur les vaccins, lutte contre l’évasion fiscale et conversion vers une économie décarbonée : j’ai rappelé les attentes des écologistes en vue du futur Conseil européen du 25 et 26 mars.

Monsieur le Président, monsieur le Ministre, chers collègues

Nous serons particulièrement attentifs à ce que feront ou ne feront pas les dirigeants européens à Bruxelles à la fin de cette semaine. Cette attention va sans doute dépasser le cercle des initiés car je crois que nos attentes précises, nos exigences d’avancées concrètes sont partagées par bon nombre de nos concitoyens.

C’est d’abord évidemment face à la pandémie que l’Europe est attendue. Le choix de jouer collectif pour le groupement des commandes et l’approvisionnement en vaccins était le bon. Il ne produit pas cependant les résultats escomptés : les engagements de livraisons ne sont pas tenus, les taux de vaccination sont toujours inférieurs à 10% et la nette différence avec le Royaume Uni, le Chili, les USA ou Israël par exemple, et l’incompréhension des opinions publiques qui en découle, incitent les uns et les autres à rompre cette cohésion européenne, à faire « cavalier seuls » pour leur fourniture en vaccins. Cette évolution est néfaste : comment imposer ainsi par ce retour du « chacun pour soi » un rapport de force aux laboratoires pharmaceutiques ? comment pourrait-on mettre en œuvre dans une telle désorganisation la mobilisation industrielle pour la production massive de vaccins qui s’impose ? comment, si ce repli généralisé se poursuit, pourrait-on conduire l’indispensable soutien à la vaccination des populations les plus précaires de la planète ? Aujourd’hui à peine 10 pays concentrent les ¾ des personnes vaccinées dans le monde : qui peut croire qu’on viendra à bout d’une pandémie mondiale en poursuivant de cette façon ?

Le vaccin doit devenir un bien public mondial

Nous attendons donc de l’Europe qu’elle écarte ces dérives délétères, qu’elle assume complètement à ce Conseil son choix d’agir collectivement face à la pandémie, qu’elle manifeste clairement sa détermination à ne pas rester au milieu du gué. La communication récente du commissaire Thierry Breton n’y suffira pas. Nous attendons des actes forts pour engager la production sur l’ensemble des sites qui le peuvent, pour mettre les laboratoires pharmaceutiques dans la logique de transparence, de mobilisation et disons-le de discipline collective qui est nécessaire. Des sommes considérables d’argent public soutiennent la recherche et l’innovation technologique des labos pour la riposte à la pandémie : on ne peut gaspiller cet argent dans l’opacité, la désorganisation, le cynisme et la cupidité. Pour optimiser la disponibilité, l’accessibilité et le caractère abordable des vaccins, des tests et des traitements, il faut une dérogation temporaire aux obligations de l’OMC sur la propriété intellectuelle. Les dirigeants européens sont attendus par l’Afrique du Sud, l’Inde, par plus de 100 gouvernements, d’ONG, de syndicats, et par le Directeur Général de l’OMS, pour peser afin que le vaccin devienne « bien public mondial ».

L’évasion fiscale pratiquée par de nombreuses multinationales est intolérable. La directive en faveur d’un reporting public et obligatoire s’avèrerait extrêmement efficace.

Une autre attente forte vis-à-vis de nos dirigeants européens, c’est le renforcement de la transparence fiscale. Au moment où les dépenses publiques sont mises à forte contribution face à la pandémie, l’évasion fiscale pratiquée par de nombreuses multinationales apparaît comme totalement intolérable pour l’immense majorité des citoyens européens. C’est là-dessus qu’il faut agir par des dispositifs volontaristes et efficaces plutôt que d’envisager d’énièmes réformes structurelles qui saccageraient le bien commun que constituent les services publics. La directive en faveur d’un reporting public et obligatoire s’avèrerait extrêmement efficace puisqu’elle permettrait de vérifier que les impôts sont bien payés là où ils doivent l’être, elle permettrait d’identifier les lacunes du système et d’avoir les données pour agir afin de garantir la justice fiscale et mettre fin à la concurrence déloyale fondée sur l’abus du système. Nous ne voulons pas que les négociations interinstitutionnelles réduisent cette ambition. Ainsi nous n’acceptons pas le principe d’une clause de sauvegarde portée semble-t-il par votre gouvernement, Monsieur le Ministre. Permettre aux multinationales de garder secrètes pendant 6 ans des informations comptables basiques sous prétexte d’un possible préjudice à leur position commerciale affaiblirait considérablement l’exigence de transparence fiscale. Nous attendons des dirigeants européens qu’ils assurent un dispositif robuste pour s’attaquer avec sérieux au fléau de l’évasion fiscale.

Dans l’ordre du jour dense de ce Conseil Européen, il y a aussi la politique industrielle. Notre conviction là-dessus, c’est que la réindustrialisation en Europe et la création des emplois qualifiés de demain passeront par l’innovation industrielle bas carbone. Cette ligne responsable, rationnelle et lucide n’a pas encore gagné face aux tenants d’un ancien monde qui minimisent toujours l’urgence climatique et se satisfont de la lente désindustrialisation de notre continent. Le débat sur le futur ajustement carbone aux frontières montre crûment combien ces deux lignes s’affrontent. A 15 voix près, les plus conservateurs des parlementaires européens viennent d’emporter un vote qui voudrait maintenir les droits à polluer octroyés gratuitement aux industries hautement polluantes. Ce traitement spécial temporaire entendait soutenir la compétitivité de ces industries considérées comme exposées à un risque de délocalisation. Il ne peut se perpétuer car il deviendrait caduque avec l’instauration du mécanisme d’ajustement carbone. L’ambition initiale doit être maintenue : ne laissons pas certains lobbys vouloir le beurre et l’argent du beurre sans même faire les efforts requis pour le climat. Ces quotas gratuits ont fait leur temps, ils sont incompatibles avec l’ajustement carbone aux frontières, pour des raisons environnementales d’abord mais aussi pour la compatibilité avec le droit de l’Organisation Mondiale du Commerce. Nous attendons donc de ce Conseil Européen qu’il fixe clairement la ligne de la stratégie industrielle pour que l’opportunité de la conversion vers l’économie décarbonée soit pleinement saisie et que nos industries ne soient pas fragilisées par des logiques à courte-vue.

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